LE CRAMONSIAU ET LA RUE DES FILLETTES
Quelques information tirées des publications de la société des Montois cayaux et relatives au différents lieux-dit de l'ancien quartier du Cramonsiau. Vous l'ignorez peut-être mais il y a, entre la place du parc et la rue du Parc, connue par vous lors des cortèges de Baptême et de Saint Nicolas, une « Rue des fillettes » ... Lieu étonnant car il marque un lien inattendu entre les filles faciles et une ancienne figure de la ville de Mons, reprise dans le folklore étudiant : « Le Bourreau »
De nos jours, cette rue ne comprend que quelques masures, mais il est probable qu'à une époque lointaine elle parcourait tout le Mont du Parc. Il est étonnant que l'autorité communale montoise ait gardé cette appellation de rue des Fillettes. A première vue on pourrait croire qu'il s'agit simplement de commémorer quelques enfants en bas âge pratiquant l'un ou l'autre jeu innocent. Mais ce n'est pas du tout cette signification-là que sous-entend le nom de cette rue.
On l'a compris, il s'agit, ici, des « ribaudes » ou autres « baiselettes » ou encore de « femmes de l'amoureuse vie », de filles « folyant » de leur corps, celles qui vendent l'amour au détail, les « nonnains des gaies abbayes », etc...Du temps de Rabelais, les expressions ne manquaient pas.La première ordonnance connue sur la prostitution à Mons date du 28 mai 1265. Elle est de Marguerite dite de Constantinople, comtesse de Hainaut, et semble avoir été calquée sur une mesure prise par Saint-Louis, roi de France. Ne pouvant expulser la prostitution de ses états elle décida que les filles de joie habitant la ville, précisément dans le quartier des Sarts, seraient dorénavant astreintes à porter une aiguillette sur l'épaule et que le port d'une ceinture dorée, réservé aux femmes honnêtes, leur était interdit. C'est de là que viennent les expressions proverbiales de « courir l'aiguillette » ou encore : « Mieux vaut bonne renommée que ceinture dorée » ce qui signifie que toutes les femmes qui portaient cet ornement n'avaient pas pour cela brevet de sagesse.
Le 15 mai 1485, le tribunal des échevins s'occupe de la question du « libertage » qui s'était grandement développé à Mons en raison du séjour de fortes garnisons, des guerres et d'une situation politique profondément troublée. Cette juridiction municipale décida de remettre en vigueur les vieilles ordonnances, l'aiguillette fut abandonnée et, en vertu d'un ban de police édicté par le Magistrat de Mons, les fillettes publiques durent porter sur le côté une bande d'étoffe jaune. Celles qui étaient trouvées « aval de ville , sans porter la bande que porter elle devoit, pour la connoistre » étaient condamnées à trente sols blancs dont un tiers pour la ville et le reste pour le prévôt de Mons.
Des punitions plus graves étaient parfois infligées aux femmes publiques de Mons qui contrevenaient aux bans municipaux relatifs à la prostitution. Les ribaudes étaient soit plongées dans la Walierne, soit revêtues de la cotte jacquette. La cotte jacquette avait la forme d'une cloche et était garnie intérieurement d'une multitude d'aiguilles, d épingles et de petites pointes de fer. On revêtait de singulier accoutrement le corps nu de la prostituée et on forçait celle-ci à traverser ainsi les rues de la ville. A chaque pas les pointes s'enfonçaient dans les chairs : le peuple riait et lançait des moqueries à la fille délinquante.
La walierne était une pièce d'eau ou abreuvoir qui se trouvait sur l'emplacement du Marché aux chevaux, à l'intersection de la plac Saint-Jean (du Parc) et des rues des Quatre Fils Aymon, des Echelles et des Etampes. Là se dressait une potence avec poulie et corde supportant une cage en osier dans laquelle on enfermait, nue, la prostituée et que l'on plongeait selon la gravité des cas, une, deux ou trois fois dans l'eau, puis elle était bannie de la ville.C'est le bourreau de la ville qui était chargé de la surveillance des « fillettes ». François Vinchant raconte dans ses annales qu'en 1590, qu'il y avait à Mons tant de filles publiques que « pour divertir leurs lubricités elles furent contraintes de payer toutes les semaines quelques deniers au Maistre des Haultes Oeuvres ce que depuis, le Magistrat rétracta et augmenta les gages du Maistre ». C'est en qualité de souverain de la prostitution légale que le bourreau recevait cette redevance honorifique ; aussi est-il qualifié dans les archives du XVe siècle, de « roi des ribaudes de la ville de Mons ».
Des XIVe, XVe et XVIe siècles, les archives ont conservé une série de bans, d'ordonnances de police, de jugements qui ne laissent aucun doute sur le dépravation des moeurs à cette époque. A cet égard, les « étuves » ou bains publics, établis principalement le long de la Trouille, avaient une triste réputation au point de vue de la débauche. Leurs enseignes se paraient sans retenue de noms suggestifs dont les plus modestes étaient ceux de « Paix de Coeur », « Dieu d'Amour », « Repos amoureux », « Verger du Dieu Cupidon », et « aux estuves de Madame de Paris devant la Trouille ». Elles faisaient bien leurs affaires, ces estuves. Pas de fête sans visite aux estuves. Et les plus hauts personnages y passaient. Lisez ce poste du compte du Prévot de Mons pour 1402-1403 : « Fut par le prévost payet au command de Monsire, le comte d'Ostrevant, le jour Saint Pierre aoust entrant l'an dessus dit, dou viespre (le soir), à Magnon dou Ruels et à ses meskines, pour cause que adont il dis Messire le comte, avec aultres, se estuva à sa maison, 2 couronnes du Roy de ca 8 ». Hygiène, dira-t-on ! Pour en revenir à la rue des Fillettes.
Si ce bout de rue porte ce nom, c'est donc pour rappeler que « le plus vieux métier du monde » a été exercé autrefois dans ce quartier avec une certaine tolérance. Etonnant, non ?